Un soir de mars à Paris
Récit de la manifestation parisienne passée sous silence par les médias et qui va occuper pacifiquement les rues de Paris pendant plus de sept heures, arpentant les rues de la capitale, de la Bastille à la Concorde, de l'Opéra à l'Assemblée Nationale, de la Sorbonne à la rive droite jusqu'au boulevard Magenta.
Il est 20 heures place de la Bastille, un millier de personnes se sont rassemblées à l'appel des syndicats lycéens et étudiants pour écouter la déclaration solennelle du chef de l'Etat.
Il étaient dejà une petite centaine à s'être regroupée sur les marches de l'opéra Bastille dès la fin de l'après midi. La FIDL avait distribué des pancartes anti CPE, puis installé un petit camion équipé pour diffuser le discours de Jacques Chirac.
Peu d'entre eux s'attendait à une annonce du retrait. Aussi n'ont-ils pas été surpris par la teneur des propos de celui qui était censé incarner la Nation, le pourfendeur de la fracture sociale, celui là même qui en 2004 avait fait voter par sa majorité un texte qui imposait la consultation des syndicats pour toute réforme du code du travail.Un air de trahison flottait dans l'air.
Ils étaient nombreux, malgrè leur jeune âge à se souvenir qu'il avait été élu par 83 % des français dans un face à face avec le représentant du Front national :Jean-Marie Le Pen.
Le temps de régler la sono, de trouver le volume adéquat, et c'est une voix peu audible, d'un homme âgé, déconnecté des réalités, enfermé dans son Palais présidentiel, qui recouvre la place de la Bastille dans un silence relatif, attentif mais ponctué de « Chirac voleur » et « Villepinte démission »
Aux mots de promulgation de la loi c'est une clameur révoltée qui s'élève aux cris de « retrait du CPE » Je vois à mes côté une jeune fille pleurer dans les bras de son compagnon, photo qui sera reprise par le quotidien Libération le lendemain.
Pas de casseurs à l'horizon, juste une foule à ce moment majoritairement composée de lycéens et de quelques adultes. Il y a là quelques drapeaux du Parti communiste et de syndicalistes de l'éducation nationales.
Les premiers cris de « Tous à l'Elysée » fusent et rapidement un mouvement de foule s'engage pour remonter en direction de l'hôtel de ville. Les nombreuses compagnies de CRS postées aux abords de la place de la Bastille n'ont pas le temps d'empêcher un bon millier de manifestants de se constituer en un cortège, non autorisé.
Foule impresionante, sans banderole, ni calico mais déterminée à faire valoir sa colère. Sans mot d'ordre, ni la moindre organisation elle s'avance, quelques automobilistes énervés tentent de forcer le passage, avec de grands risques d'incidents. Quelques adultes contiennent les jeunes les plus énervés et canalisent les véhicules.
C'est à une allure très soutenue que la manifestation improvisée décide de passer rive gauche,puis sans s'arrêter au bas du boulevard Saint Michel, d'avancer à pas forcé pour remonter les quais et enfin arriver jusqu'aux grilles de l'Assemblée nationale.Seule une poignée de gardes mobiles sont là et ne peuvent maitriser une foule trèsdéterminée, d'autant plus que les forces de l'ordre en présence ne sont guère impressionantes.
Miracle des nouvelles technologies, que ce même gouvernement tente de contraindre avec le tant décrié projet de loi « Droits d'auteurs » de Renaud Donnadieu de Vabres, Ministre de la Culture, les portables fonctionnent à tour de bras et l'on annonce qu'une autre manifestation remonte la rue de Rivoli. Et c'est le passage à vive allure de la Place de la Concorde où un mur de grilles anti émeute bloque les accès aux Champs Elysées et à la Présidence de la République.
Une brève charge des CRS accentue le pas des manifestants ,qui à hauteur du Louvre, retrouvent une manifestation nettement plus importante.
Un moment d'hésitation, puis le camion de la FIDL se fraie un passage, une large banderole rouge se hisse audessus des têtes des manifestants. Et le cortège s'oriente vers les Grands Boulevards en passant devant la poste centrale du Louvre. Mais c'est déjà une foule énorme qui se presse de toute part et qui s'organise tant bien que mal. La foule est composite, les adultes sont plus nombreux, les étudiants aussi. On a le sentiment qu'après avoir éouté le chef d'Etat, les parisiens se sont précipités dans la rue en grand nombre. Le passage par les Grands Boulevards gonfle la foule des passants présents.Un cafetier distribue des bouteilles d'eau minérale, lesquelles sont les bienvenues pour des manifestants qui marchent depuis plus de trois heures et s'égosillent aux cris de « Chirac, Villepinte, Sarkosy démission ».
Sur les Grands Boulevards la foule est énorme, on n'en voit ni la tête, ni la queue, il y a là au bas mot 10 000 manifestants. Place de l'Opéra, où aux balcons du Palais Garnier se pressent des jeunes femmes en robes de soirée qui font des gestes de soutien, sous les acclamations de la foule, les manifestants crient « les bourgeois avec nous », un barrage impressionnat de CRS bloque les Grands Boulevards, spontanément les manifestants qui ont compris qu'il ne fallait pas stationner, mais marcher à tout prix, contournent la difficulté par les rues arrières. Sur les trottoirs ,de surréels polytechniciens en grandes tenues au bras de charmantes demoiselles aux robes de mousseline, croisent les marcheurs de la campagne anti CPE.
Surprise rue Royale les forces de l'ordre n'ont pas eu le temps de barrer le passage et c'est une foule impresionante qui envahit la Place de la Concorde pour la deuxième fois de la soirée. Autre surprise le pont de la Concorde est libre ,et le chemin pour l'Assemblée est curieusement ouvert aux manifestants.
Alors que d'impressionants convois de gardes mobiles remontent les quais toutes sirènes hurlantes, la foule se masse devant les grilles du palais Bourbon.
Evitant un nouveau piège aux cris de « Avancez, continuez à marcher » le cortège s'engage sur le boulevard saint Germain lui aussi grand ouvert ...
Peu d'incidents, les manifestants sont responsables, ils organisent des chaines pour protéger le cortége des CRS et encadrent un défilé de plus en plus nourri, qui remonte le boulevard Raspail. A Sévres Babylonne il s'engage avec pour objectif ,visiblement, le Sénat.
Par téléphone j'apprends qu'une petite manifestation s'est organisée sur le boulevard Saint Germain.L'exploit de l'Assemblée ne se reproduira pas, l'accés au Sénat est bloqué, la foule empreinte les rues étroites qui conduisent au boulevard Saint Germain et fait la jonction avec l'autre manifestation.
C'est un immense cortége qui finit par se rendre devant la forteresse de la Sorbonne. Les plus audacieux vont se frotter au mur de CRS, vite dispersés par d'amples gaz lacrimogènes.
Les manifestants redescendent le boulevard Saint Michel, il est une heure du matin. J'ai fait deux fois le tour de Paris à pied et je regarde une foule qui crie « on n'est pas fatigué » franchir pour la troisième fois les pontsde la Seine avec comme mot d'odre « tous à Montmartre ».
La manifestation ira se perdre dans la nuit, avec d'inévitables affrontements, ceux parmi les plus déterminés iront passeront leur colère sur la permanence de Pierre lelouche, laquelle sera saccagée.
Le gouvernement a eu chaud cette nuit là.... la manifestation aurait bien pu se radicaliser au quartier latin et tenter de tenir, avec barricades à l'appui, le pavé de Paris.
Les médias n'en n'ont rien dit, au mieux ils en ont diminué l'impact. Si les manifestants avaient profités de l'effet surprise (ou alors c'était peut être l'espérance secréte du ministre de l'intérieur) pour passer les grilles de l'Assemblée et envahir le Palais Bourbon, cette manifestation aurait fait la une des tous les journaux et le tour de la planète entière.
On ne peut faire mieux pour pousser les manifestants à des actes de violence, symboliques et qui rentrent « dans les crénaux » des médias.Triste démocratie, si ingrate à l'égard de citoyens animés du souci de jsutice!
Elle a préféré pour ce soir là s'inspirer des folles de la place de Mai en Argentine: marcher, et encore marcher pour dire son courroux et son amour de la démocratie, pietinée ce soir là par un chef d'Etat vieilissant, menteur et sans parole, soutenant jusqu'au ridicule un Premier ministre arrogant.
Il faudra mardi que les français, une fois de plus, sortent en grand nombre pour dire à ce gouvernement autiste, soucieux de défendre les intérêts des plus forts contre les plus faibles, qu'ils refusent massivement, au nom de la fléxibilité que l'on généralise la précarité.
En attendant Jacques Chirac aura réussi ce tour de force d'organiser à force marché l'éducation politique de toute une jeune génération et, au passage assurer une unité syndicale et politique que l'on avait plus vue depuis mai 1968.
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