mercredi 13 octobre 2010

Lendemain de grève.

La vague monte, elle enfle, on sent la société palpiter « là comme une petite bête », la jeunesse s’en mêle et tout un chacun se retrouve éveillé, comme si ce souffle juvénile pouvait donner le « petit coup » d’aile suffisant pour abattre les murs d’airains que les puissants ont dressé depuis des siècles pour défendre leurs privilèges..
Je ne sais plus qui disait que l’histoire bégaye…est-ce l’âge mais toutes ces images, ces paroles, ces mouvements semblent se « raconter » par échos successifs une même histoire. C’est un peu comme dans ce film où le personnage central se réveille tous les matins pour vivre la même journée… sans fin. Il tente, avec sa connaissance et son expérience d’influer sur les événements, mais toutes les journées s’achèvent de la même manière, la chute est inexorable et résonne comme l’écho froid d’une caverne.
J’entends bien l’espoir, la conviction, la détermination de certains… mais ils ne voient pas l’immense majorité des « incertains », cette masse immobile et qui n’avance qu’à pas lents…tout glisse sur eux, seule la répétition les rassure. Parfois « la rumeur de la colère» parvient jusqu’à leurs oreilles, mais impavides ils la laissent passer vaquant invariablement à leurs occupations. Ils ne sentent pas vraiment le poids des infamies qui pèsent sur eux, ils sont les « résignés ».
Longtemps ils m’ont été invisibles tant la foi en un monde meilleur possible était vivante en moi. Je n’avais d’yeux et de cœur que pour ceux qui me ressemblaient, mes sœurs et mes frères, mes camarades.
J’ai vécu longtemps dans ce monde clos peuplé de rêves et de longues marches dans les rues des villes, j’ai encore le souvenir frémissant sur ma peau de ces foules qui avançaient animées d’une force incroyable, celle de vaincre.
Je ne dis pas que tous ces combats ont été vains. Les « yeux invisibles « des puissants savent toujours relâcher légèrement ce qu’il faut pour garder la main.
Mais « dans le vieux parc solitaire et glacé » de Paul Verlaine ce ne sont plus que « deux âmes qui évoquent leur passé ». Je me sens aux rendez-vous de ces deux âmes et j’aime à me souvenir du soleil qui rayonne sur la foule et « des merveilleux nuages » de Charles Baudelaire qui couvrent leurs têtes. J’entends avec plaisir le chant des slogans rouler comme le tonnerre, je ressens encore l’heureuse fatigue de toutes ces longues marches, et les longues nuits de veille et d’espoir. Je revois les soirs d’élection magiques et électriques, je n’ai pas oublié la longue nuit du 10 mai 1981.
Mais je suis là… éveillé, les yeux grands ouverts, la mémoire riche, le cœur encore ouvert et je SAIS tout ce qui a suivi, les beaux moments n’ont été que de instants de fièvres. Et comme sur un écran géant je vois en noir et blanc la longue file des gens fatigués et résignés qui envahissent mon monde en couleurs et plein d’arc ciel.
J’ai si peur que tout devienne gris… si gris.

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